cécile bouffard                                                                                                                                                          cv / texts




  Crazy Toad(s), 2023 
        duo show avec Carlotta Bailly-Borg


Baume et scrupule, 2022
∗bois, peinture acrylique, métal












Fond de Sympathy, 2022
∗bois, peinture acrylique, métal, silicone, textiles









High by the phlegme, 2022
∗bois, peinture acrylique,silicone, textile









Golden bobinette, 2022
∗bois, peinture acrylique, métal


















Still wasted, 2022
∗bois, peinture acrylique






babosa babosa, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile

























Baume et scrupule

«Cécile Bouffard laisse libre cours à nos imaginations avec ces deux figures en conversation, qui ressemblent aussi à des cailloux. Le mot scrupule désigne à l’origine les petites pierres qui, glissées dans une chaussure, gênent la marche. Cécile Bouffard tisse un lien entre différentes symboliques, comme elle a l’habitude de le faire en rassemblant images et expressions glanées au fil de ses recherches. Ici, le caillou est ainsi présent dans la forme comme dans le renvoi fait à l’étymologie du mot scrupule. Les joues rouges, auxquelles la couleur des pièces fait penser, juxtaposées au titre de l’œuvre, expriment quant à elles l’expression d’une gêne ou d’une hésitation, d’un scrupule. Les deux sculptures en bois qui composent cette pièce se font face. Leurs crêtes en bois brûlé leur donnent l’air de deux punks en pleine conversation répondant à de drôles de patronymes: Baume et Scrupule. Posées au sol et appuyées au mur, ces silhouettes respirent le flegme, la détente et la bonhommie. Elles évoquent un corps humain aux hanches lourdes, mais sont peut-être aussi deux joues gonflées d’air. La pointe de rose en leur centre ferait alors allusion aux maquillages de la bourgeoisie. Sous l’Ancien Régime, les privilégié·es cherchaient en effet à faire ressortir la pâleur de leur teint, marqueur social d’un corps préservé des travaux manuels, bien souvent exécutés en extérieur. Si l’on pense aux crapauds fous du titre de l’exposition, on peut aussi imaginer que ces formes sont les lointaines cousines du crapaud orgueilleux de la célèbre fable, qui tente en vain d’être plus gros que le bœuf.» 

Marie Plagnol


Golden bobinettes

“Que sont donc ces sculptures qui pendent depuis le plafond du centre d’art, venant parfois frôler les cimaises? Leur allure évoque des langues, qui lécheraient alors les murets. Tout cela participe de l’humidité propre à l’exposition, inspirée d’un jardin pour crapauds en folie. Si l’on considère le fait qu’elles sont en bois, on peut alors penser qu’elles sont aussi des cloches, issues du folklore d’un village perché dans la montagne. Le bruit de ces instruments, qui sont aussi des glottes, semble avoir été étouffé. Si ce son ou ce cri de gorge venait à résonner, il semble qu’il serait doux.

Les cordes faites de morceaux de tissus disparates, récupérés, pourraient avoir été nouées pour permettre une fuite improvisée. Ces attaches font allusion aux «yoyo» construits par les prisonnier·ères pour se faire passer des mots ou des biens d’une fenêtre de cellule à une autre. L’élan un peu fou de ces liens tendus au travers de l’exposition ne les empêche pas d’être lâches et décontractés: les nœuds pourraient se défaire et laisser s’échapper ces drôles de porte-clés géants.”

Marie Plagnol

Fond de sympathy

“Les trois sculptures de Fond de Sympathy évoquent des bouches, les nuances de vert, de jaune et de rose du fond figurant des glaires. Ces têtes sont des antres, dans lesquels læ spectateur·rice attiré·e par l’aspect brillant est invité·e à plonger pour explorer ses humeurs. Le terme désigne à la fois les fluides corporels matérialisés par le fond de l’œuvre, et la sympathie nommée par le titre. Ces gosiers sont peut-être même des gueules béantes, qui pourraient évoquer les vers du film Dune de David Lynch (1984), ou certaines des créatures des films d’Hayao Miyazaki. L’artiste s’amuse par ailleurs à reprendre le design du Tamagotchi, objet iconique des années 2000 qui demandait aux enfants de nourrir un petit animal électronique. Ces formes peuvent aussi faire penser à des carpes, les chaines qui en pendent étant alors les moustaches de ces poissons.

Peu importe les créatures auxquelles ils appartiennent, ces trois orifices sont figés dans un mouvement dont il nous faut imaginer la suite. Cécile Bouffard construit ici une narration. Le nœud en latex pendu au bout d’un fil de métal est peut-être une mouche qu’un animal à la gueule ouverte s’apprêtait à gober quand son geste a été interrompu. Il est aussi possible que le mouvement ne soit pas tout à fait arrêté, mais qu’il évolue à un rythme invisible à l’œil nu. Les couleurs du fond, leur marbrure, renverraient alors à l’atmosphère des grottes souterraines en constante mutation. L’on pense au temps nécessaire à la formation des stalactites et stalagmites. Il s’agit ici d’un ralentissement, d’un étirement du mouvement qui en devient presque mou, et même doux malgré la violence qu’il peut évoquer de prime abord.”

Marie Plagnol


High by the phlegme 

« Avec High by the phlegme, Cécile Bouffard joue dès le titre de l’œuvre à juxtaposer des éléments a priori opposés. Elle compose ainsi un oxymore, le dynamisme du «high» (le terme désigne en anglais un pic d’énergie) se confrontant au relâchement du «phlegme» (les sonorités du mot renvoient à la flemme). L’artiste s’amuse également, comme elle aime le faire dans ses œuvres, des multiples significations du terme. En plus de désigner une personne patiente et détendue, le phlegme est un liquide organique, une muqueuse. Ce que l’on retrouve dans le silicone dont est recouvert le bois, qui paraît visqueux et ressemble à des fluides corporels, à de la glaire par exemple.

Les figures créées par Cécile Bouffard sont mouvantes, joyeuses et souples. Elles s’élancent et dansent avec le mur. La manière dont elles sont accrochées fait ainsi penser à une notation musicale, à l’élan d’une chanson folklorique ou d’une danse traditionnelle. Dans le même temps, leur forme rappelle celle d’un joug. Le joug est une pièce de bois qui sert à atteler les bœufs, à les contraindre physiquement. Le terme a la même étymologie que yoga, sorte de contrôle de soi qui permet de se libérer des contraintes corporelles. Cécile Bouffard nous propose de nous réapproprier joyeusement ce qui peut nous asservir. Ses sculptures rappellent également des corps considérés comme hors norme, et l’on peut y voir la bosse de Quasimodo ou un pied déformé. Elles peuvent cependant aussi être des béquilles, ou même des échasses sur lesquelles se percherait un troubadour facétieux.»

Marie Plagnol

Still wasted

«Les trois comparses répondant au nom de Still Wasted s’agrippent au mur. Galbé·es et muni·es de crochets, iels s’inspirent des «pesons» ces balances permettant de mesurer le poids ou la force. Le titre «wasted» signifie en anglais «gâché». On retrouve ici l’obsession de l’artiste pour la normalisation en marche dans notre société. Ce qu’on ne peut pas calibrer va être mis de côté, ce qui est considéré comme abîmé, «gâché», également. Cela vaut pour les objets comme pour les personnes, dans un souci permanent de comparaison et d’uniformisation. Mais nos trois acolytes s’en fichent bien et avancent gaiment, prêt·es à danser ou peut-être à en découdre?»

Céline Poulin

babosa babosa

« Cette série de sculptures en bois prises dans du tissu a été réalisée par Cécile Bouffard pour une exposition éponyme, qui a eu lieu en 2022 à la galerie guadalajara90210, à Mexico DF. Leur titre signifie «limace» et «bave» en espagnol, et est utilisé de manière péjorative pour désigner une personne jugée trop lente. Cécile Bouffard se réapproprie l’insulte en assumant un amour de l’indolence et en revendiquant une cadence volontairement ralentie. Elle introduit pour cela du rythme dans ces sculptures apparemment nonchalantes, qui semblent se reposer dans le creux de morceaux de tissus. La répétition du titre provoque déjà un mouvement, qui se poursuit dans la manière dont sont accrochés les différents éléments de la composition. Cette allure est tranquillement martelée par des sabots mous. Ces formes, comme prêtes à s’envoler, renvoient à l’origine du mot sabotage. Le mot désigne d’abord le fait de taper du pied (chaussé·e de sabots) pour gêner la prise de parole de quelqu’un·e, avant d’être utilisé pour désigner les actes des ouvrier·ères en grève qui utilisaient leurs sabots pour casser les machines. Qui sait, l’artiste nous encourage peut-être à saboter nos rythmes de travail, en nous reposant à notre tour dans des hamacs accrochés deçà, delà, tout en étant prêt·es à décoller pour suivre nos désirs?»  

Marie Plagnol