cécile bouffard                                                                                                                                                        cv / texts 



                                                         BASKET CASE
                                                         La salle de bains, Lyon - 2022

              
                                                              I. colporte
                                                              II. Asile!
                                                              II. Surprise





salle 1: colporte
 



...aie confiance, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile









Hyper ballad, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile, silicone, métal









beat the crap out of the truth, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile, métal









Wander on desire, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile








colport.x, 2022
∗bois, peinture acrylique, textile




BASKET CASE - Salle 1 colporte

L’expression basket case, qui s’emploie au sujet d’une personne souffrant d’une anxiété handicapante ou pour signifier la très mauvaise santé économique d’un pays, trouve son origine dans un langage terriblement dénué de métaphore : c’est ainsi que l’armée américaine désigna ses soldats blessés sur le front de la Première Guerre mondiale par le mode de rapatriement auquel ils étaient voués.

Ce qui dans les sculptures de Cécile Bouffard évoque des sortes de cocons, ces formes emmaillotées rendues indéchiffrables par l’épaisseur des bandes qui les protègent – à moins qu’il ne s’agisse vraiment de faire disparaître quelque chose à l’intérieur – peuvent dans ce cas ranimer la mémoire de ces jeunes hommes-troncs évacués dans des paniers et restitués tels quels à la mère patrie.

Si l’artiste s’intéresse aux cas désespérés, aux invalides, dégénérés, fous, hors-normes, bizarres, c’est surtout pour la manière dont ces individus se meuvent à la lisière de la société avant que ne se mettent en place les politiques de santé publique fondées sur l’internement. Le traitement que leur réserve la société pré-moderne consiste davantage en la mise en orbite qu’à l’enfermement, à la transhumance, à demeurer des êtres de passage, ainsi de celleux embarqué.e.s sur la nef des fous, qui, selon Michel Foucault, les « condamne à une éternelle circulation, à une position irréductiblement liminaire » (Histoire de la Folie à l’Âge Classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 25).

Aussi, le potentiel subversif qu’offre de se déplacer, bon an mal an, sur les seuils intéresse particulièrement l’artiste qui s’est aussi penché.e pour la première salle de son exposition sur la figure des colporteureuses. Ainsi certaines sculptures qui trouvent place – ou leurs aises, pour certaines – dans l’espace de la Salle de bains s’inspirent-elles du bâton de pèlerin ou de systèmes de portage plus ou moins homologués, d’harnachement qu’on invente sur le bas-côté, et que l’artiste répertorie dans une collection d’images allant des tableaux de Brueghel aux trouvailles le long des trottoirs en passant par des catalogues d’écomusées.

Au début du scénario, l’on pourra encore se demander de quelle manière va tourner cette situation en apparence assez paisible. Car les colporteureuses ont la réputation d’apporter avec leurs marchandises des maladies, des rumeurs ou le mauvais œil. Tout comme les mots peuvent faire fourcher la langue, les gestes et les formes sont à double sens et ces dernières se jouent des faux semblant jusque dans leur facture, qui, examinées de près dévoilent des excroissances suspectes.

Julie portier
 

salle 2: Asile!

























Mi lambin.x, 2022
∗bois, peinture acrylique




«Pendant le montage de cette deuxième salle, alors que nous dissertions sur le rapport de la sculpture à l’espace d’exposition, Cécile Bouffard nous confiait avoir adopté deux types de stratégies : dans le cas d’une exposition collective, elle préfère disposer ses œuvres une fois que celles des autres artistes sont installées, plus ou moins à l’écart, ce qui leur confère, en quelque sorte, un rôle de « témoin » ; à l’inverse elle envisage presque toujours l’espace de ses expositions personnelles comme une « scène », ce qui peut s’entendre comme un décor autant qu’une unité de temps dans un scenario plus vaste dont les témoins sont cette fois les spectateur·trices.

En vue de la première salle, elle décrivait « un univers capitonné, dans lequel, en latence, les sculptures incarnent des manières qui laissent penser qu’elles sont prêtxs à agir, à gémir, à passer à l’acte ». Elle ajoutait : « un peu comme si on était dans une réunion de personnes souffrant de troubles du comportement qui préparaient une échappée maligne ». Ce titre en forme d’exclamation est donc réversible, de la stigmatisation indignée à la clameur salvatrice, ici, « Asile ! » c’est un peu comme décréter « Champagne ! ».

S’il fallait situer la scène, ce serait davantage dans un salon libertin qu’à l’hôpital psychiatrique, à moins d’y assister à une insurrection. Et tant qu’à personnifier les sculptures – qui s’y prêtent volontiers par leurs titres et leurs contours humanoïdes ou zoomorphes – les introverties de la première salle, contenues dans ce qui pouvait évoquer tantôt le pansement tantôt la camisole de force, pré- sentent ici tous les signes d’une décompensation à caractère festif. Par ailleurs les réminiscences d’objets appartenant au monde médiéval ou aux traditions rurales ont laissé place à un vocabulaire de formes plus clairement empruntées à la sphère des jeux sexuels. Il en va de même des matières textiles, serviettes éponges et pièces de satin auxquelles se suspendent et s’enlacent les formes invariablement façonnées en bois qui exaltent leurs talents de transformistes.

Car ce revirement de situation dans la narration, s’il est un prétexte, met l’accent sur un traitement particulier du bois qui joue le trompe l’œil à la surface comme dans la matière. Elle s’étire et se déforme selon une élasticité feinte qui donne aux matériaux la même consistance que les person- nages de cartoons. N’est-ce pas finalement le lien de parenté entre les sculptures de Cécile Bouffard et le dessin (animé) qui s’affiche au grand jour dans cette scène de liesse en deux dimensions ? D’où peut-être la manière dont ces « objets » – comme elle préfère les nommer – signalent leur relation au plan par des systèmes d’accroche plus ou moins ostentatoires.

Enfin, ces esquisses d’éléments décoratifs et, indifféremment, de possibles sculptures, déplacent un geste d’atelier dans l’espace d’exposition, plus que jamais fantasmé.»

Julier Portier